Lendemains qui hurlent : extrait

L’amour en bière 

Jean se glissait le long des quais, serpentant entre les ombres et les papiers gras. Non pas qu’il eût quelque chose à dissimuler, mais c’était là sa manière d’être et d’appréhender l’existence. Il le savait, il ne valait pas plus qu’un pet de mouche ricochant sur les parois grises et lisses d’une vie minimale.

Il poussa la porte rétive d’un débit de boisson désespérément nommé « Comme chez vous », un des nombreux refuges de la ville destinés aux oubliés et autres âmes à la dérive.

-Salut Jean, comment tu vas ?

-Bien Robert, bien, bien…

De toute manière, il aurait annoncé à l’ombre moustachue trônant derrière le comptoir qu’il souffrait d’un cancer en phase terminale que le cours de la soirée n’en aurait pas été modifié pour autant. Voilà l’unique avantage des relations de bistrot : chacun feint de connaître l’autre, tout en s’en fichant éperdument.

-Mets-moi une bière Robert.

-Ça roule.

La masse énorme du tavernier se déplaçait avec une surprenante aisance au milieu des tables sur lesquelles des consommateurs affalés attendaient l’oubli.

Jean regardait avec mélancolie le triste spectacle qui s’offrait à lui : demi-prostituées, alcooliques complets, dépressifs en puissance…Tous réunis sous la bannière d’une future cirrhose.

Il était à la fois différent et semblable. Son statut de (petit) fonctionnaire lui permettait de se distinguer extérieurement de la multitude spongieuse qui l’entourait, mais au fond, il était aussi perdu que ses compagnons d’infortune.

Il ne voulait pas rentrer.

(…)

……..

La suite de cette nouvelle dans « Lendemains qui hurlent », 

 publié en mai 2011


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